Ça fait maintenant bien longtemps que j’ai entendu parler pour la première fois de la trilogie Millenium, romans du suédois Stieg Larsson. Je travaillais alors en bibliothèque municipale et j’avais du mal à comprendre comment, du jour au lendemain, avait pu se créer une liste d’attente longue comme un bras de King Kong pour la réservation du seul exemplaire que nous possédions alors de chaque tome (nous allions être forcés d’en commander quelques doubles par la suite…)
Les couvertures singulières de chez Actes Sud et leurs dessins bizarres, je l’avoue, ne m’inspiraient guère. Je suis pourtant bonne cliente de polars nordiques (mon préféré étant l’islandais Arnaldur Indridason, encore assez peu adapté au cinéma, à part Jar City – mais il a aussi signé le scénario, toujours pour le même réalisateur, Balthazar Kormakur, de Contrebande, un film avec Mark Walhberg à sortir en mai). — Oui oui, je vous perds un peu avec mon intro, mais c’est comme ça. —
Le problème, c’est que moi et les livres grand format, on n’est pas très copains. C’est cher, c’est trop gros pour mes petites mains, trop lourd pour mon petit sac sur mon fragile dos. Je suis une amoureuse des poches, j’aime leur dimension, leur aspect familier. Dès lors, pour les livres à leur sortie, c’est au choix : soit je les emprunte à la bibliothèque, soit j’attends quelques mois leur sortie en poche. Comme vous l’aviez compris, réussir à réserver Millenium en bibliothèque tenait à l’époque du parcours du combattant, ah oui j’aurais bien pu ruser dans les logiciels internes à ma disposition pour gruger les 45 petites vieilles qui étaient avant moi sur la liste, mais ce n’aurait pas été très urbain, ni très professionnel. Attendons le poche, donc. Mais, muflerie de l’éditeur, profits en vue et autres raisons économiques douteuses ont fait que le poche s’est fait looooongtemps attendre pour le tome 1. Du coup, ma curiosité a eu le temps de s’émousser ; pire, j’étais presque agacée par ce pseudo-phénomène qu’on voulait à tout prix nous imposer.
Quand enfin j’ai eu l’objet dans les mains, j’ai commencé à le lire tranquillement, avec, peut-être je l’avoue, un petit a priori négatif, un peu snob, comme la sensation que ce truc tellement populaire devait être bien médiocre. (Après tout, j’avais bien eu aussi beaucoup d’a priori négatifs sur la saga Harry Potter, pour finir par engloutir les 7 tomes à la suite…) Mais, aux premières pages, le livre m’est tombé des mains. Ce mic-mac économico-politico-journaleux me semblait complètement embrouillé, nous présentant des personnages et des situations absolument inintéressantes, avec un style encombré et vraiment pas attrayant. Comme je lis généralement plusieurs livres en même temps, j’ai dû fermer un jour celui-là , en prendre un autre, et ne jamais le rouvrir.
Jusqu’à un jour paisible de l’année 2011 où, sur une île méditerranéenne, bloquée par la pluie dans un confortable petit hôtel, je me suis retrouvée avec le pavé à portée de main. Relisant en mode avance rapide les premières pages qui m’avaient tant déplu, j’y ai un peu mieux trouvé mon chemin, et j’ai poursuivi ma lecture, pour ne plus m’arrêter jusqu’à la fin. Une écriture globalement sans éclat, mais efficace, des personnages attachants, des péripéties qui se suivent facilement et avec plaisir : après tout, je ne demande pas mieux !
Il est vrai que ma lecture était d’autant plus motivée que je savais déjà que j’allais voir début 2012 l’adaptation cinéma de David Fincher, dont j’attendais qu’il refasse un film à la hauteur de Zodiac… Je mentirais si je disais que je n’ai pas visualisé, dès ma lecture, les visages de Daniel Craig en Mikael Blomkvist, de Robin Wright en Erica Berger et de Rooney Mara en Lisbeth Salander.
La lecture finie, les mois ont passé, et j’ai pu découvrir le film de Fincher sans être trop encombrée par les pensées-parasites qu’occasionnent une lecture trop récente par rapport au visionnage de son adaptation cinéma (« ce n’est pas fidèle », « il manque ça », « ils ont rajouté ça »…)
Après un générique que l’on m’avait trop vantée (il est très bien, hein, mais pas révolutionnaire non plus… C’est un générique à la James Bond, en plus sombre…) j’ai été séduite quasiment dès le début, qui ne s’encombre pas, comme le fait le livre, d’une explication longue et laborieuse sur les tenants et les aboutissants de l’affaire Wennerström. Et puis, on arrive sur l’île, et un plan mobile qui avance sur la maison d’Henrik Vanger m’a donné des frissons. A la fois élégant et chargé de mystère, ouvrant la curiosité du spectateur comme s’il se trouvait devant un jeu de société à échelle réelle, ce plan est pour moi, à l’image du tout premier plan de Zodiac, chargé de cinéma. (Je sais, ça ne veut pas dire grand-chose, mais je n’arrive pas à le formuler autrement.)
Pas de surprise, le casting est globalement très bon. Robin Wright incarne parfaitement son personnage, à un point que je n’imagine nulle autre actrice qu’elle à sa place. Goran Visjnic est très bien dans le peu que l’on voit d’Armansky. Daniel Craig est comme un poisson dans l’eau : il semble s’amuser beaucoup avec son personnage, son côté à la fois très vif d’esprit et pourtant parfois dépassé, par Lisbeth en particulier, mais aussi par lui-même. Son jeu avec ses lunettes, qui l’encombrent mais qui lui sont nécessaires, est tout simplement délicieux. Et puis, enfin, Rooney Mara est une Lisbeth parfaite, autant dans son corps et sa manière d’évoluer, que dans sa voix absolument fascinante, mélange de fragilité et de ténacité.
Sans parcourir le film dans ses moindres détails, je trouve que les choix qui sont faits se tiennent bien – à part une petite réserve sur la résolution de l’énigme, pour le coup assez différente du livre, et que je préfère dans le livre. Comme souvent chez Fincher, les décors, costumes, accessoires fourmillent de détails plaisants et bien vus : une bouteille qui roule sur un frigo, un iPhoto dont on sait mal se servir, un bête gobelet de café, un sachet de donuts… Tout fourmille de précision et de cohérence, ce qui n’est guère étonnant quand on connaît un peu le niveau de maniaquerie du réalisateur. Les scènes difficiles, que je craignais parce qu’on n’est jamais très loin du voyeurisme quand on choisit de montrer ça, sont finalement rattrapées, un peu de justesse, mais bon, par la souffrance évidente de Lisbeth, et surtout par son sang qui coule abondamment dans la baignoire. L’absence de ce plan aurait à mes yeux condamné la séquence et même tout le film.
Je ne compare pas avec le téléfilm dit « original », que je n’ai pas vu. Noomi Rapace, à qui, c’est plus fort que moi, je trouve toujours un air de ressemblance avec Mathilde Seigner (désolée…….), me plaît moins sur le papier, mais on m’en dit du plus grand bien. Je doute cependant d’avoir l’envie ou l’occasion de rattraper ma lacune.
Et après avoir lu le tome 2, j’avoue espérer dans un monde idéal que la même dream-team puisse se reformer à nouveau… Les acteurs ont a priori signé pour les trois volets, mais quid de Fincher ? C’est vrai que, je l’avoue, il a sûrement autre chose à faire, mais son film donne l’impression qu’il s’est quand même bien amusé avec ce matériau. A suivre donc !
Note :
Oui voilà , j’adhère à chaque mot, chaque impression… Le jeu des lunettes de Blomkvist, j’adore, le petit détail du jeu d’acteur mais qui en dit long sur le personnage [encombrant mais nécessaire comme tu dit], le fait d’être sur de lui mais dépassé, séducteur mais séduit malgré lui, il est vraiment parfait dans le rôle, lui même un peu fragile, égoiste, finalement assez limité comparé à Lisbeth.
Et ne parlons pas de Rooney Mara qui est juste totalement hallucinante, habitée, investie [jusqu’à se faire faire de vrais piercing un peu partout]. Vraiment top malgré le film de commande, il ne ressemble à rien en un film de commande.
[NOTE DE STELLA : Attention la suite de ce commentaire contient des spoilers sur la fin du livre]
La résolution de l’énigme est « décevante » mais rajouter cet aller retour en Australie aurait trop fait souffrir cette fin en longueur. Bon après, c’est chelou cet échange d’identité, c’est mieux amené dans le roman, mais sinon, c’est un petit détail. Une petite faiblesse dans l’adaptation que je trouve partout ailleurs absolument brillante en ne gardant vraiment que les bonnes choses du roman et en virant pas mal de trucs bien inutiles [moins de frères, moins d’aventures extra conjugales].
Le film original est vraiment pourri par contre. Mais vraiment quoi. Y’a que Noomi Rapace qui donne un minimum d’intérêt, mais Rooney Mara est 1000 fois mieux [même si Noomi est probablement plus le rôle, physiquement] et son rôle est mieux écrit.
Hé merci pour ton commentaire !
Je me suis permis d’ajouter un petit avertissement-spoiler. (dommage, ma balise magique ne fonctionne pas dans les commentaires)
J’oublie en effet de dire que malgré le côté « film de commande », je trouve vraiment que c’est un film assez personnel, on y retrouve pas mal des obsessions et motifs habituels de Fincher.
Pour le film suédois, j’ai vraiment différents sons de cloche, j’en ai entendu beaucoup de bien aussi. Mais bon ! Un jour peut-être…
Ah mais tout de même voyons, hohoho! J’allais pas laisser passer ça.
En effet, je perd l’habitude et j’ai complètement pas capté que mon message était total spoiler…
Mais ceux qui disent du bien du film suédois sont des ânes, oui madame, des ânes. C’est vraiment l’archétype du film inutile, l’adaptation est inintéressante, la mise en scène est plate et croit qu’un travelling ou mouvement de grue suffira à lui donner de l’identité [quelle blague!] et le blomkvist viking est… pffff… un bien beau plat de nouilles. Hallucinant. Vanger aussi n’a pas du tout l’air du patriarche bienveillant du livre et que Plummer donne a son personnage [Max Von Sidow aurait été cool aussi…]
Sinon pour la minute trivia IMDB. Le film est sorti aux Etats Unis le même week end que Mission Impossible 4 et Sherlock Holmes 2. Le méchant du premier, c’est celui qui joue Blomkvist et évidemment dans le second, y’a Noomi Rapace. Je lole.
C’était un spoiler léger et pas très clair, mais bon…
Pas mal pour la minute trivia ! J’ignorais. En tout cas j’ai déjà oublié le méchant de MI:4 (que j’ai pourtant regardé sans déplaisir).
Je te rejoins complètement sur les livres de poche. Gloire au petit format, avec une reliure solide (sans le dos du livre coupé en deux = drame).
Et j’aime beaucoup le développement de ce texte.
Bonjour,
ayant trouvé ta vidéo sur youtube cela m’a donnée envie de déposer, à mon tour, un message (très tardif je m’en excuse).
J’étais présente moi aussi lors de cet événement. D’ailleurs je me vois dans ta vidéo puisque j’étais assise dans la même rangée que toi. Une superbe soirée.
Premier bilan que je m’étais faite, à l’époque, est que j’avais été très heureuse de constater un grand respect du matériau littéraire originel et cela bien plus que dans la version suédoise (qui malgré tout avait su conserver les principales ramifications de l’enquête criminelle du premier Tome). Autre heureux constat, Fincher a eu la clairvoyance de ne pas sortir l’histoire de son contexte d’origine. Il aurait d’ailleurs été assez difficile de faire autrement étant donné le passé historique et politique du pays sur lequel revient continuellement le roman de Stieg.
Toutefois, voulant condenser 700 pages d’un ouvrage en 2h30, le réalisateur ne s’attarde pas suffisamment sur le déroulé de l’enquête. La réalisation devient, tout à coup, méga speed, ne délivrant plus les indices et leur résolution étape par étape, mais crache littéralement à la figure du spectateur toutes formes d’informations, la rencontre des 2 protagonistes du film et l’évolution de leurs rapports à Hedestat, les mises en lumière des éléments ou nouveaux éléments d’enquête, les diverses résolutions, l’évolution de l’investigation et enfin l’aboutissement de tout en ½ heure afin de laisser place au fameux face à face Martin Vanger/Blomkvist et au reste de l’histoire. La mise en scène donne un tel vertige que l’on a l’impression que si on manque une minute de scène on va se retrouver totalement largué et on ne donne pas au spectateur le temps de comprendre comment les protagonistes en viennent à résoudre tel et tel indice. La version suédoise et sa réalisation s’étaient bien plus effacées derrière la froideur de l’enquête (élément central et important) afin de mieux laisser s’exprimer les personnages.
Mais bon le film m’a bien plu dans son ensemble. Pour avoir vu toutes les versions faites de cette saga littéraire, je peux témoigner qu’il n’y a pas au final pas de bonne ou de mauvaise version puisque chacune(suédoise/US) apporte ce qui manquait à l’autre. Toutefois, la version US a eu quand même le défaut d’arriver après la bataille et d’emprunter un chemin déjà parcouru enlevant tout effet de surprise.
Pour ce qui est de Lisbeth. Personnage fétiche à mon coeur. Les interprétations des actrices Noomi/Rooney allaient à coup sûr subir un arbitrage sévère de ma part.
Il est difficile de s’accaparer ce personnage car Lisbeth est très complexe. Elle n’est pas à simple titre une super héroïne. C’est un petit bout de femme à la personnalité puissante mais foncièrement vulnérable qui se retrouve pieds et poings liés par un système qui au lieu de la protéger ne fait que l’enfoncer et veut la détruire à tout prix. C’est une farouche féministe qui joue les Robin des bois pour son propre compte et qui bien souvent n’est même pas un exemple à suivre. Mais Lisbeth possède une intelligence unique qui lui confère un éclat qui nous intrigue et nous attire. Elle reste une énigme insaisissable. Rooney se sera beaucoup inspirée du personnage littéraire dans son interprétation. Là où Noomi semblait être un volcan de ressentiments contenus, Rooney est une femme fonctionnant tel un robot Terminator en position « ON » à la limite de l’autisme, le regard fuyant, renfermée sur soi, terriblement seule, une héroïne qui déféminise tout en elle tout en conférant un énorme pouvoir sexuel. Mais à aucun moment Rooney ne m’a faite oublier le jeu impeccable et la flamboyance de sa prédécesseuse suédoise puisqu’elle emprunte une partition déjà royalement endossée. Mais à elle deux, elle forme la Lisbeth complète et parfaite. Honnêtement, je trouve dommage que tu n’ais pas donné sa chance à la version suédoise. Je trouve que tu perds l’occas de voir une interprétation vraiment incroyable de la part de l’autre actrice.
Bonjour Sylvia,
Et tout d’abord merci de ton commentaire, ça fait plaisir de lire quelque chose d’aussi fouillé !
C’est vrai que le film va très vite, et en cela je ne sais pas si quelqu’un qui n’a pas lu le livre ou pas vu le film suédois arrive à tout capter, mais c’est un écueil qui me semble malgré tout difficile à éviter sur une durée ainsi limitée. Déjà dans « The Social Network » (et dans une moindre mesure dans « Zodiac »), Fincher s’amusait à aller vite, très vite, quitte à noyer un peu son spectateur. Je ne trouve pas ça inintéressant, dans le sens où ça provoque une nouvelle façon de regarder le film.
J’aime beaucoup la description que tu fais de Lisbeth, qui est très juste. Du coup en effet tu me donnes envie de voir ce que Noomi Rapace en a fait… Je ne suis pas opposée à l’idée de voir la version suédoise, on verra si j’en ai l’occasion.